Joseph Dominé-Marquis
Courchapoix n’a pas directement participé à l’exploitation sur fer, sur le territoire communal.
Parmi ses habitants, cependant, on trouvait des mineurs qui ont extrait du fer dans les mines de Delémont et Courroux.
Joseph Dominé-Marquis a témoigné sur son métier.
Ses souvenirs ont été édités en 1993. On peut les trouver sur le site Jura Fer, sous témoignages d’anciens mineurs. L’entretien est reproduit ci-dessous.
On trouve dans la presse, des relations d’accidents survenus aux mineurs.
L’exploitation du fer dans le Jura est documentée sur le site du GAF, Groupe archéologique du Fer.
extrait de l’article de François Rais, du GAF :
Les souvenirs des travaux miniers dans la région de Delémont s’envolent rapidement de la mémoire de la population. Il nous a paru important de recueillir les témoignages des derniers mineurs qui sont descendus dans les mines. Durant l’année 1993, nous avons rencontré plusieurs personnes pour qui les souvenirs de ces périodes marquantes de leur vie étaient encore vivaces. Quatre des personnes interrogées, nées entre 1913 et 1920, ont travaillé après 1940 dans le puits des Prés-Roses. Il s’agit de Marcel Bindit, Joseph Dominé, Jacob Daepp et Hermann Hofer.
Un cinquième témoin, Henri Rais, a bien connu la vie des mineurs grâce aux souvenirs de son père Adolphe né en 1880. Le condensé de ces témoignages a paru dans la revue MINARIA HELVETICA de 1993 (No 13b).
Les travaux miniers à Delémont pendant la 2e guerre
Entretiens avec Joseph Dominé de Courchapoix, mineur, durant l’été 1993.
Le narrateur.
Joseph Dominé, né en 1916, était manoeuvre à la fonderie des Rondez lorsque la mine des Prés-Roses a été rouverte durant la seconde guerre mondiale. Après la fermeture de la mine il retourna pendant quelque temps à la fonderie des Rondez, il aurait préféré travailler “sur la place” pour s’occuper des chargements et déplacements de matériels. Cette faveur ne lui fut jamais accordée et il décida de travailler pour un autre employeur sur des chantiers. Le père de Joseph, prénommé également Joseph, travaillait aussi aux Rondez. C’est lui qui y préparait le bois des mines avant la fermeture de 1926. Pendant la guerre c’est l’oncle du narrateur, Arsène Dominé, qui reprit cette tâche.
Emplacement du dernier puits minier.
Le dernier puits en activité, le seul qui fut rouvert et actif durant les années de guerre était le puits des Prés-Roses. La profondeur du puits était de plus de 100 mètres et toutes les galeries étaient ouvertes dans la couche minière à cette profondeur. Ces galeries se propagent dans tous les sens, montent et descendent au gré de la richesse de la couche. Ce puits était exploité par von Roll et le minerai était transporté par chemin de fer au haut fourneau de l’usine de Choindez. Le puits fut fermé à la fin de la guerre, ne supportant pas la concurrence du fer provenant de l’étranger.
L’organisation du travail à la mine.
Les mineurs travaillaient en deux équipes une première équipe de 6 heures du matin à 14 heures, la deuxième équipe commençait à 14 heures pour terminer à 22 heures. Chaque semaine, on changeait d’horaire ; une semaine le matin, une semaine l’après-midi. Pendant chacune des périodes de travail, une pose d’une demi-heure était prévue pour un repas qui était pris au fond de la mine. Chaque équipe de mineurs comptant 15 à 20 personnes était conduite par un contremaître qui dirigeait le travail dans la mine. Le responsable des travaux miniers était le maître mineur. Le dernier maître mineur fut Werner Steiner.
Le mineur.
Le travail était pénible, les galeries étaient basses et le travail devait se faire dans toute sorte de position. Le creusage de la mine se faisait avec un pic et une pelle à manche très court, qui étaient plus maniables mais nécessitaient plus de force. Dès le début de l’exploitation les mineurs avaient aussi à disposition des marteaux-piqueurs à air comprimé. La tâche était dure, pourtant le mineur aimait son métier et l’ambiance était bonne. Les mineurs travaillaient par équipe de deux par galerie, l’un creusait la mine où le bolus, l’autre évacuait le matériel par wagonnets. Après quelque temps, on échangeait les rôles. Au fond des galeries secondaires, les mineurs effectuaient eux-mêmes la consolidation des plafonds par boisage au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Une équipe d’entretien de deux ou trois personnes s’occupaient de l’entretien des galeries principales. Les mineurs étaient vêtus d’anciens habits rapiécés qui s’usaient rapidement ; ils se chaussaient de sabots, gros souliers de cuir dont l’épaisse semelle en bois était renforcée de pièces en fer par le maréchal-ferrant. Après le travail les mineurs se changeaient et se lavaient autour d’une fontaine ronde où coulait hiver comme été de l’eau froide.
Les salaires.
Les mineurs étaient payés à l’heure. Joseph Dominé gagnait à l’époque 1.12 Fr. à l’heure, d’autres étaient plus ou moins bien payés, mais on ne se communiquait pas le montant des salaires entre ouvriers. A la fermeture de la mine, von Roll continua de l’employer mais lui enleva les 2 centimes. En plus du salaire horaire les mineurs pouvaient recevoir un bonus selon le nombre de wagonnets évacués. Il arrivait qu’on négligeait par moment le boisage des galeries pour produire plus et obtenir les bonus. L’attribution de ces bonus n’a jamais été très transparente et Joseph Dominé ne sait pas trop comment ils étaient calculés.
Les personnes.
Les ouvriers de la mine venaient de toute la région. Joseph Dominé venait à vélo de Courchapoix en toute saison ; parfois il devait porter son vélo pour avancer dans la neige. D’autres venaient de Montsevelier, Corban, Mervelier (Marquis), Courtételle (Gasparoli), Develier, Delémont.
Dangers et accidents.
Les mineurs étaient prudents et Joseph Dominé ne se souvient pas d’accident dans la mine des Prés-Roses à cette époque. Les mineurs semblaient sentir le danger et réussissaient à l’éviter. Comme toutes les tâches difficiles, les travaux de la mine engendraient une franche camaraderie et une bonne ambiance. Les farces se renouvelaient entre mineurs. Un bon exemple est de s’approcher en cachette du piqueur et de lui éteindre sa lampe, ce qui plongeait toute la galerie dans l’obscurité et engendrait de solides réclamations de la victime.
Le puits.
Le puits descendait à la verticale à plus de 100 mètres jusqu’à la couche de minerai. Les personnes et le matériel étaient descendus et remontés dans les cuveaux, deux grosses bennes en fer tenues l’une à l’autre par un câble rond. Lorsqu’une benne descendait par l’une des ouvertures, l’autre remontait par la seconde. Les bennes étaient guidées par de longues poutres verticales en bois qui faisaient office de rails. Les ouvriers plaçaient des planches sur la benne pour être transportés par groupes de deux. On trichait aussi et on remontait à trois ou quatre, après s’être assuré par téléphone auprès du machiniste qu’aucun chef ne rôdait à la surface dans les environs.
Les matériaux.
Au fond de la mine le mineur trouvait de la mine et du bolus. On nommait mine les boules de minerai qui étaient réparties en couches ou en poches dans les galeries. Ces minerais n’étaient pas entourés de gangue, seul du sable poussiéreux les accompagnait. L’extraction de ce minerai ne causait aucune difficulté car il coulait de lui-même vers le sol dès qu’on le déstabilisait et pouvait être chargé à la pelle dans les wagonnets. Plus dur, parfois comme de la roche calcaire, était le bolus qui se trouvait entre les couches productives. Il fallait l’attaquer au pic ou au marteau-piqueur. Les mineurs nommaient bolus l’argile rouge des galeries qui pouvait contenir de nombreuses boules de minerai de fer. Quelle que soit la quantité de minerai contenue dans ce bolus, celui-ci n’était pas exploité. On devait pourtant l’évacuer vers l’extérieur, à moins qu’on ne puisse le déverser dans d’anciennes galeries qui ne contenaient plus de matériel utilisable. Le tri de la mine et du bolus se faisait par wagonnets au fond des galeries.
Les galeries.
Les galeries devaient être construites avec précaution pour éviter tout éboulement. Dans les galeries principales, les hommes pouvaient se tenir debout. Puis on creusait d’étroites galeries, qui permettaient juste le passage des wagonnets, jusqu’aux galeries d’exploitations où l’on trouvait du minerai en quantité. Là, les galeries s’élargissaient selon la richesse de la poche de minerai. Les galeries étaient creusées au fur et à mesure de l’extraction. Lorsque le minerai se faisait rare dans une galerie, elle était abandonnée et on creusait ailleurs. C’était le rôle du maître mineur de conseiller où il fallait creuser. Parfois des blocs de pierre empêchaient une progression normale. On utilisait alors des mines pour faire sauter les blocs. Les mineurs restaient dans le fond lors de l’explosion et la poussière emplissait les galeries et leurs poumons. Ils utilisaient alors l’air comprimé des marteaux-piqueurs envoyé de la surface pour se faciliter la respiration.
Le bois des mines.
Les poutres de consolidation des galeries étaient en rondins d’un diamètre de 20 à 25 cm. Ils étaient préparés aux Rondez et conduits du dépôt à la mine. Les poutres de soutien, qu’on nommait stamples, étaient posées verticalement, le haut incliné vers l’intérieur de la galerie. Les poutres du plafond, nommées capes, étaient taillées de façon à maintenir l’écartement des poutres de soutien. Selon les besoins, les mineurs commandaient à la surface par téléphone les stamples et les capes en indiquant la longueur désirée.
Les transports par wagonnets et téléphérique.
Les transports de matériel au fond de la mine se faisaient par wagonnets se déplaçant poussés par les ouvriers sur des rails distants d’environ 60 cm. Des plaques fixes horizontales de forme circulaire permettaient les changements de lignes, le pousseur donnant au wagonnet un mouvement de rotation bien dosé. Les rails des galeries secondaires étaient posés et déplacés selon les besoins. Les wagonnets étaient construits entièrement en fer. Certaines lignes en pente étaient munies de treuils électriques qui permettaient de tirer les wagonnets par câble. Les wagonnets du fonds des galeries étaient en forme de caisse rectangulaire d’une profondeur de 40 cm. Sur la face arrière deux poignées verticales servaient à pousser ou à retenir le wagonnet. Un marche-pieds permettait au wagonneur de se laisser transporter dans les descentes, un frein empêchait les vitesses trop élevées. La partie avant était formée d’une porte qui s’ouvrait vers le bas et laissait s’écouler le matériel (minerai ou bolus) . Le contenu se déversait par son propre poids dans l’une des bennes du puits dès l’ouverture de la porte, le reste était sorti en soulevant le wagonnet. Le matériel extrait de la mine était remonté à la surface dans les bennes, et le minerai conduit au lavoir de la Blancherie par un téléphérique. Le bolus sorti de la mine était déposé à l’extérieur en d’immenses tas.
Le lavoir.
Le lavoir se trouvait à la Blancherie à proximité des voies CFF. Joseph Dominé, bien qu’ayant travaillé pendant 3 ans à la mine ne se souvient pas d’être allé au lavoir. L’eau de lavage était à intervalles réguliers déversée dans la Sorne qui prenait alors une couleur rouge.
Les outils et machines .
Chaque mineur avait son pic, sa pelle et sa lampe qui étaient fournis par von Roll mais lui étaient ensuite attribués personnellement. L’éclairage du fond était assuré par les lampes de mineur. Elles se composaient du bac de rétention du carbure et du bec d’allumage. Les gouttes d’eau qui étaient lâchées dans le carbure (ou acétylène) formaient un gaz qui brûlait à la sortie du bec. La lampe une fois chargée de carbure suffisait en général pour l’éclairage d’une journée de travail, On économisait le carbure et la flamme pouvait être réglée selon les besoins. L’outil principal du mineur était le pic avec lequel il creusait les galeries, extrayait le matériel, aménageait les espaces pour le boisage des galeries. La pelle servait à déplacer le matériel et à charger les wagonnets. Le pic était remplacé, lorsque la couche était plus dure, par le marteau-piqueur, alimenté à l’air comprimé envoyé de la surface. Pour le minage des parties trop dures des galeries, on utilisait comme explosif des bâtons de cheddite. Le trou de minage se faisait au burin par deux mineurs. L’un tenant le burin et l’autre tapant dessus pour l’enfoncer. Lorsque le trou atteignait 20 à 30 centimètres de profondeur, l’un des mineurs continuait le travail à la main laissant tomber avec force une baramine d’acier de 2 mètres de long dans le trou aménagé. A chaque coup la baramine, dont la pointe était forgée en forme de couteau plus large que le corps de l’outil, était tournée légèrement pour donner un trou régulier. Les poussières qui s’accumulaient au fond du trou devait être sorties au moyen d’un outil en forme de très longue cuillère. On introduisait un à trois bâtons de cheddite dans le trou ainsi aménagé et on les allumait au moyen d’une longue mèche. Les eaux souterraines suintaient continuellement dans les galeries et il était nécessaire de les évacuer. Une grande cavité avait été aménagée dans le fond de la mine d’où les eaux étaient pompées régulièrement. Les moteurs et pompes à eau se trouvaient à la surface.
La Sainte-Barbe .
La fête des mineurs n’était plus fêtée spécialement dans le monde de la mine de Delémont à cette époque. Les mineurs recevaient de l’employeur à chaque Sainte-Barbe une paire de sabots de bois, qui leur était apportée sur le lieu de travail et remise par l’épouse du maître mineur, madame Steiner.