Dans sa série d'été, sous la plume de Thomas Le Meur, le Quotidien Jurassien du 28 juillet 2014 a publié un aperçu de l'histoire de Courchapoix.
Bienvenue dans la Terre Sainte de Suisse
THOMAS LE MEUR
A la confluence des rivières la Scheulte, la Chèvre et la Gabiare,
les trois biefs – «ter bi» – qui donnent son nom au val, Courchapoix, paisible commune de 421 âmes, se distingue à plus d’un titre.
Le village fut au cours des âges relais de la voie antique entre Bienne et Bâle, fief irréductible de la Prévôté Sous-les-Roches, atelier de tissage de la soie, puis foyer industriel réputé pour le savoirfaire de ses ouvriers-paysans, la qualité de ses hameçons… et le polissage de ses boîtes de montres – jusque sur la Lune!
Promenade dans l’histoire au cœur de la Terre Sainte, en compagnie de Louis-Joseph Fleury, maire de Courchapoix, infatigable marcheur, arpenteur érudit du val Terbi et patoisant patenté.
légendes des photos publiées plus bas
Bâtis en 1861, la nef et le chœur sont richement décorés d’un retable et de deux autels latéraux de style baroque.
L’église Saint-Imier veille depuis son éminence. PHOTOS TLM
Vu depuis les gorges de la Scheulte, l’alignement des trois sœurs du val Terbi – les églises de Mervelier, Corban et Courchapoix. L.-J. FLEURY
A fleur de champ, la Vieille fontaine toise le village.
«Bienv’nance dans la laindyie di tiûre, bïn di piaijie dains not Vâ Terbi, à Cortchaipu!»
Venus des quatre coins de la Suisse, les marraines et parrains du Patenschaft ont dû écarquiller leurs oreilles à ce cordial accueil de Louis-Joseph Fleury, qui signifie en bon français de l’Académie: «bienvenue dans la langue du cœur, bien du plaisir dans notre Val Terbi, à Courchapoix!» Car si l’enseignant à la retraite ne cache pas son plaisir à jongler entre le romanche, l’italien, l’allemand et ses dialectes, il aime surtout jouer des subtilités du patois jurassien, un parler dont il connaît les moindres recoins.
Il y a Val Terbi… et Vivermont!
Tout comme son cher val Terbi, d’ailleurs, dont il n’entend pas abandonner le nom au seul profit de la commune fusionnée, que notre gaillard surnomme avec malice «Vivermont» – l’acronyme de Vicques, Vermes et Montsevelier. Lui et la joyeuse équipe des guides de Val Terbi Rando ont retourné chaque caillou, des rives de la Birse jusqu’au col de la Scheulte, pour y planter leurs didactiques panneaux colorés retraçant la grande et les petites histoires du val Terbi. Car si aujourd’hui le berceau aux trois rivières paraît être à l’écart des grands axes de communication, il n’en fut pas de tout temps ainsi.
Voie en apparence immémoriale aux yeux des voyageurs modernes, les gorges de Moutier et de Court n’ont en fait été rendues accessibles qu’au VIIe siècle, sous l’impulsion de Saint Germain. Avant, la Birse libre de toute entrave interdisait le passage durant les crues d’hiver. C’est pourquoi Celtes puis Romains empruntaient le val Terbi pour rallier Petinesca (Studen, près de Bienne) à Augusta Raurica(Augst, près de Bâle), sur un chemin praticable en toute saison.
La route s’est maintenue durant le Moyen-Age, permettant l’implantation de petites communautés agricoles – les colonges – tout au long de l’itinéraire. Le bel alignement des clochers de Courchapoix, Corban et Mervelier donnait la direction aux pèlerins de passage dans le vallon. Elégamment juchés sur leurs hauteurs en rive gauche de la Scheulte, ces trois sanctuaires furent bâtis bien à l’abri des impétuosités de la rivière, et tant pis si les églises ne sont pas au milieu des villages!
La fontaine source de mystère
Sur un lieu de sépulture du premier millénaire, s’est édifiée en l’An Mil l’église de Courchapoix. Dédié à Saint Imier, l’évangélisateur du Jura, l’oratoire fut agrandi au fil des siècles pour fournir un havre sûr aux voyageurs de ces âges obscurs.
Ils y trouvaient également de l’eau en abondance, jaillissant de la montagne et recueillie dans les fontaines. La plus insolite d’entre toutes est sans conteste la Vieille fontaine, une grande vasque taillée à fleur de sol, dans le pâturage surplombant la Vevie. Un GPS pointé sur 47°21’16”N 7°27’16”E vous offrira, outre la contemplation de cette pierre débordante de mystères, une belle échappée sur le village et son clocher.
L’industrie frappe à la porte du village dès le début du XVIIIe siècle. Chassés de France, les huguenots lyonnais apportent avec eux leur savoir-faire de tisserands. Le val Terbi devient alors un centre important de travail de la soie, et pour faire tourner les métiers à tisser, les villages s’équipent dès 1900 des premiers réseaux électriques à courant fort du Jura. Courchapoix conserve toujours le sien en mains propres, encore aujourd’hui.
En parallèle, les hommes n’hésitent pas à partir dès potron-minet pour se rendre aux fonderies de Choindez et Delémont, un labeur dur et dangereux. Cette abnégation industrieuse à la tâche se retrouve de nos jours: plus de trois quarts des employés du village œuvrent dans l’industrie, une valeur bien supérieure à la moyenne cantonale de 47,2%.
La Bouée hameçonne la Lune
Et un fleuron industriel, Courchapoix en a un. Fondée en 1947, l’usine La Bouée exportera ses hameçons jusqu’au Brésil. Mais six ans plus tard, le marché ne mord plus, et La Bouée coule. Qu’importe, la fabrique reconvertie polira des boîtes de montres de prestige, et avec quel succès! Le 21 juillet 1969, au poignet de Buzz Aldrin, une Omega Speedmaster parachevée à Courchapoix se pose sur la Lune. Un petit tic pour l’homme, un grand tac pour le val Terbi.
Guerre et paix, par François-Ferdinand Rollat
TLM
légendes de la photo publiée plus bas
Le premier Pont de Cran, en bois, fut construit par F.-F. Rollat sur la frontière entre Suisse libre et Jura occupé. Le pont en pierre date de 1852. PHOTO TLM
Courchapoix peut s’enorgueillir d’avoir vu grandir en son sein un citoyen en tout point remarquable. Né le 22 mars 1762, François-Ferdinand Rollat est le fils du notaire du village. Mais à la confortable robe de clerc, il préfère vite l’aventureux uniforme du régiment suisse, au service de la couronne de France.
Caserné sous la bannière à fleur de lys, il assiste aux soubresauts révolutionnaires qui secouent le pays des Lumières. Ainsi, il devient le témoin, un certain 14 juillet 1789, de la chute du symbole monarchique. «La canaille parisienne prit d’assaut la Bastille. Il faut dire, à la honte du chef qui a été inhumainement massacré, qu’il avait laissé cette forteresse sans force, car il n’y avait que soixante hommes», écrirat-il dans ses mémoires.
Démobilisé en 1792, il rentre au pays et s’installe comme meunier à Courchapoix. Le village, avec Corban et Mervelier, est alors une dépendance de la prévôté de Moutier-Grandval: on nomme alors cette partie du val Terbi la Prévôté Sousles-Roches. Elle jouit du statut de combourgeoisie de Berne, et de ce fait reste suisse même quand les troupes françaises font main basse en 1793 sur le Jura Nord, possessions du prince-évêque de Bâle.
La Terre Sainte, refuge des prêtres réfractaires
La frontière de la Suisse se situe donc sur la Scheulte, au Pont de Cran, à mi-chemin entre Vicques et Courchapoix. Et la petite Prévôté Sous-les-Roches devient naturellement l’asile des prêtres pourchassés par la vindicte révolutionnaire, ce qui consolidera sa biblique appellation de Terre Sainte. Cette distinction se confirmera à nouveau un siècle plus tard, lors du Kulturkampf, quand les catholiques fuiront l’oppression bernoise.
En homme de guerre rompu à la paix, Rollat n’a de cesse de préserver les habitants de son village, en négociant habilement avec l’occupant – voire parfois en se jouant de lui. Sa détermination a permis à Courchapoix d’échapper aux exactions révolutionnaires, même après l’invasion complète du val Terbi en 1798.
A cette époque, l’atypique meunier construira également le premier Pont de Cran en bois, en lieu et place du capricieux passage à gué de la Scheulte. Le pont en pierre, encore visible, date de 1852.
Face à sa maison, l’illustre citoyen a désormais une place en son hommage, une place de cette Bastille inexpugnable que fut le val Terbi défendu par Rollat.
Promenade à Courchapoix, en compagnie de Louis-Joseph Fleury, à la rencontre de l’histoire passionnante d’un village qui se distingue à plusieurs titres.
François Ferdinand Rollat
Il a également évoqué un citoyen remarquable, un homme de paix et de justice, François Ferdinand Rollat.
Pour en savoir plus sur François-Ferdinand Rollat
La fiche d'identité du village de Courchapoix
à lire plus bas, retranscription plus lisible
L'annonce de l'article
La fiche d'identité du village de Courchapoix
Altitude :
Le village est à 484m, avec au Nord la Montagne à 937m et au Sud Plainfayen à 759m
Anciens termes en patois : au Nord la Côte, au Sud la Côtatte
Population
234 habitants en 1818, 271 en 1850, 260 en 1900, 238 en 1910, 281 en 1950, 399 en 2000, 421 aujourd’hui ( 2014 ).
Gentilé :
Signifiant Brûle toiles, le nom de Breûletoyes est tombé en désuétude. Aujourd'hui on parle plus cocassement des Petits Pois de Courchapoix.
Brûle toiles, Breûletoyes, d'après la tradition orale pourrait provenir
soit de gâteaux très chauds apportés dans les champs et ayant brûlé les toiles du pique.nique
soit de lits et de draps brûlés après des décès lors d'une épidémie.
Superficie :
6,4 km² soit une densité de 66 habitants par km².
Cours d'eau :
Le village est arrosé par la Scheulte et la Chèvre (ou ruisseau de Montsevelier). La Gabiare borde la commune à l'Ouest.
Toponymie : la Scheulte signifie la Grondeuse, la Chèvre provient de chefferie, la bergerie, la Gabiare signifierait la rivière encaissée.
Maire :
Louis-Joseph Fleury.
Familles bourgeoises :
Debadié, Dominé, Frund, Kury, Mouttet, Rollat, Steullet, Witte.
Appellation en allemand :
Gebsdorf, le domaine de Gebo.
Repères historiques :
Le nom de Courchappoy est attesté en 1428. Il provient de Cor Tchaipu, domaine du charpentier ou Cor Tchaimpo, le domaine des pâturages, les champois. Jusqu'en 1797, cette partie du Val Terbi, éa Prévôté sous les Roches, dépendait de Moutier Grandval. Elle fut intégrée aux départements français du Mont Terrible, et du Haut Rhin de 1797 à 1813, puis au district bernois de Moutier dès 1815. Commune limitrophe après les deux plébiscites, (juin 1974, mars 1975), Courchapoix fut rattaché au district de Delémont en 1976.